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Tahar Ben Jelloun adresse une lettre à Omar Azziman, président du Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, pour lui faire part à la fois de son inquiétude et de ses recommandations.
Monsieur le Président et cher ami,

Quand j’ai appris que tu as été désigné par Sa Majesté pour présider un Conseil supérieur de l’enseignement, j’ai prié pour toi car j’ai immédiatement mesuré l’ampleur et la difficulté de la tâche.


Je connais tes compétences, ton sens aigu de la justice et ta grande patience en tant que diplomate. Je sais aussi combien ce sujet te préoccupe et parce que tu es un homme de conviction et d’action, je me suis dit : « Même entouré d’une excellente équipe, il lui faudra se mettre en contact avec quelques saints  (ou magiciens) dans le pays afin de trouver des solutions pour le plus grave problème que connaît le Maroc depuis pratiquement son indépendance ».
Puis, j’ai lu que le Conseil est en retard pour présenter son rapport. Un débat sur la langue d’enseignement en aurait été la cause.


Je me permets de te faire part de mon étonnement : nous n'allons pas passer notre temps à nous demander s’il faut enseigner en arabe classique ou en darija. L’important est d’enseigner avec une nouvelle méthode. Pour moi, c’est démagogique de vouloir plaire au peuple en optant pour la darija. Il n’y a même pas à hésiter. C’est en apprenant l’arabe classique qu’on apprendra la darija. L’inverse est impossible.


L’important est ailleurs. De quoi souffre notre enseignement qui, par ailleurs, dispose d’un budget impressionnant ? Il lui faut tracer une ligne en introduisant de la rigueur et de l’exigence. C’est en constatant l’évolution du monde que nous devons nous adapter dans la manière de donner une éducation à nos enfants. C’est en donnant aux éducateurs la possibilité de se former en permanence, d’améliorer et enrichir leurs savoirs, en leur proposant de nouvelles méthodes pédagogiques qu’on espérera élever le niveau.


La première chose que je t’aurais demandé de faire si tu avais sollicité mon avis est de réviser les manuels scolaires. Ils auraient besoin non seulement d’être réécrits, mais surtout « nettoyés », « assainis » de tout ce qu’ils comportent comme vision rétrograde ou figée de la société. En finir avec les clichés, les préjugés et certaines erreurs.


La Tunisie a sauvé son enseignement en revisitant les manuels scolaires. Ce fut peut-être l’unique bonne décision qu’avait prise Ben Ali. Malgré son autoritarisme et son féodalisme, il eut l’intelligence de faire appel à l’ancien militant des Droits de l’Homme, feu Mohamed Charfi, un intellectuel et un patriote de grande qualité. Il lui confia cette immense tâche en lui donnant carte blanche.


Durant un an, Charfi et son équipe travaillèrent tous les jours et rédigèrent de nouveaux manuels orientés avec objectivité dans le sens du progrès et de l’ouverture d’esprit, notamment en ce qui concerne la condition de la femme.


Voilà ce que le Conseil que tu présides devrait proposer. Pour cela, il faudrait une équipe qui ne ferait de concession à personne et à aucune idéologie, ni politique ni religieuse.
J’ai constaté en allant parler à des collégiens de l’école publique à Casablanca, à Marrakech et ailleurs combien cet enseignement est sous-développé. J’ai même vu de mes propres yeux une salle désignée par une pancarte sur laquelle est écrit « Bibliothèque », pourtant vide. Pas un seul ouvrage. Pas même un de ces magazines qu’on trouve dans la salle d’attente d’un médecin.


J’ai aussi été invité dans des écoles privées. Là, j’ai vu la différence. C’est préoccupant. L’éducation, comme la santé, sont de plus en plus prises en main par le secteur privé qui en fait un business bien rentable.
Je sais qu’il y aurait beaucoup à dire et à faire. Mais s’il est encore temps, pense aux manuels à revoir et aux salles de bibliothèque vides.


Merci de prendre cette lettre comme un signe de considération et d’amitié.

Par Tahar Ben Jelloun


http://www.le360.ma/

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